L’île du docteur Faust ou la sublime damnation

Roman de la rentrée littéraire 2021, L’île du docteur Faust de Stéphanie Janicot est publié chez Albin Michel. 

Ça raconte quoi ?

Le soir du 30 avril, neuf femmes attendent au bout d’une jetée, à Douarnenez en Bretagne, qu’un passeur viennent les chercher. Destination ? L’île de Tirnamban, au large des côtes, où toutes doivent suivre une cure de six mois pour retrouver leur vingt ans. Toutes, sauf Sydney, journaliste et romancière, invitée comme témoin. Mais résistera-t-elle à la tentation ? Alors que les évènements étranges se multiplient et que les corps changent, Sydney cherche à percer le secret du terrible docteur…

Mon avis

En deux premières pages saisissantes, Stéphanie Janicot happe le lecteur dans son univers et dresse les grandes questions de son oeuvre dans une écriture douce et touchante de vérité et de sincérité.

À ce stade de notre vie, nous étions encore hésitants. Prêts à nous laisser abuser. Taraudés par cette unique question : Aurons-nous le courage de devenir vieux ?

Stéphanie Janicot

Dès le début, le lecteur devine ce qui l’attend : un voyage au coeur des mythes et légendes populaires. Faust, bien sûr, mais aussi des figures grecques telles que Narcisse, Hébé, Déméter. Rien n’est laissé au hasard dans l’intrigue écrite – ou devrais-je dire brodée – par l’auteure. Le titre même interroge puisqu’il est la fusion de deux oeuvres : L’île du docteur Moreau d’H.G. Wells et Faust de Goethe. Déjà ancré dans une littérature fantastique, le roman de Stéphanie Janicot est une relecture moderne du mythe de Faust mais surtout une réflexion profonde sur la jeunesse, le temps qui passe, la vie manquée ou encore la maternité, la nostalgie, l’enfance et la famille.

Redonner une parole et une visibilité aux femmes oubliées, ces cinquantenaires et sexagénaires, ces femmes vieillissantes auxquelles le monde ne donnent plus ni tribune ni intérêt, fait de L’île du docteur Faust un roman d’utilité publique, à mettre entre les mains de femmes de tous âges. Roman introspectif donc, qui met en scène des femmes, des mères, des cheffes d’entreprises, des épouses, des grands-mères, des filles, des créatives, des littéraires, des blondes, des brunes, des rousses. La femme est décomplexée, disséquée. Chaque personnage a une vie, sa vie, qui pourrait tout aussi bien être la nôtre, la vôtre. Tous les profils y sont dépeints et c’est là que réside la grande force du livre.

Dans la littérature traditionnelle, la vieillesse était surtout associée à la méchanceté, la laideur voire l’avidité :

C’est dans la figure de la sorcière comme vieille femme laide et inquiétante que se concentre notamment la représentation du vieillir féminin jusqu’au XVIIe siècle. […] Figure généralement ridiculisée dans les genres comiques, elle se caractérise surtout par sa laideur, sa simplicité d’esprit, et parfois aussi par ses appétits sexuels, considérés comme pervertis par rapport à la chasteté de la jeune beauté.

Keilhauer Annette, « Neutralisée ou inquiétante : représentations de la femme vieillissante dans la littérature française »Gérontologie et société, 2005/3 (vol. 28 / n° 114), p. 149-165)

Mais chez Stéphanie Janicot, vieillesse rime surtout avec sagesse. Toutes ces femmes ont du vécu. Des rides. Des regrets. Et c’est ce qui fait leur beauté. Le personnage de Zoyad est une vieille femme mystérieuse ; et d’après la description de son apparence, on suppose qu’elle est même la plus vieille de l’île. Pourtant, c’est celle qui a gardé son âme d’enfant. Ici, l’âge n’est plus qu’un chiffre, le temps, un concept. L’auteure déjoue nos attentes et renverse les clichés récurrents pour nous offrir un roman à l’écriture très saine. Saine car les questions posées sont celles qui régissent notre vie à tous. Saine aussi car les débuts de réponses données sont le fruit d’une réflexion personnelle de l’auteure – on le sent dans l’écriture ainsi que dans le personnage de Sydney, romancière elle aussi. Mais Stéphanie Janicot ne nous impose jamais sa vision. Elle nous donne des clés, des pistes et différents niveaux de lecture. Le lecteur fait le reste.

Dès l’âge de deux ou trois ans, j’avais redouté de grandir. L’âge à deux chiffres m’avait paru une perte abyssale. Sans parler de mes vingt ans qui effaçaient mes dernières illusions enfantines.

Stéphanie Janicot

L’île du docteur Faust est une vision englobante de la vie. Toutes ces femmes ne la perçoivent pas de la même façon. L’amour pour l’une c’est un amant ; pour l’autre la famille. La jeunesse retrouvée pour l’une est une seconde chance de carrière ; pour l’autre la possibilité de revivre sans douleur. Toutes ces femmes différentes ne sont que le reflet d’une vie passée, un pan de mémoire, une accumulation d’épreuves. La vie c’est compliquée mais Stéphanie Janicot nous rappelle aussi que c’est beau et que la vieillesse n’est pas une fin en soi. Pendant que l’intrigue se dénoue au fur et à mesure que les personnages avancent dans leur quête d’identité, nous, lecteur, refermons ces quelques 300 pages avec l’impression que la vie vaut la peine d’être vécue et que ce n’est peut-être pas si affreux de vieillir.

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